Ecrit pour le sujet de l’agenda ironique 2020, proposé par moi-même.
PRISONNIÈRE DU TEMPS PERDU
Ce matin-là, m’installant à la table du petit déjeuner, près de mes couverts, se trouvait un pli, à moi adressé, dont je pris connaissance, ‘
» Monsieur, ne m’en veuillez pas de vous quitter ainsi; je ne puis plus longtemps, près de vous, demeurer, étant dans le devoir de tenir compagnie à une de mes très chères amies, afin de la soulager d’un chagrin, dont je ne puis, ici, révéler la teneur. Soyez remercié de ces quelques dix jours, passés chez vous. Adeline »
– Monsieur a terminé ?
– Oui ! Non ! grognais-je.
» Bien chère Adeline, très affligé de votre absence, espérant vous revoir bientôt, afin que nous reprenions ces conversations à bâtons rompus, appréciant beaucoup votre faculté d’écoute attentive, et tout l’intérêt que vous portez à mes récits. Transmettez mes salutations à votre amie, et à très bientôt, j’espère. M. Proust. »
J’essayais bien d’entretenir des conversations et autres idées avec Madeleine, ma gouvernante, mais celle-ci ayant fort à faire avec l’entretien de la maison, ses multiples et divers travaux, ne put me prêter autant, ni longuement, son oreille attentive, absorbée, qu’elle était dans ses tâches domestiques, allant jusqu’à étouffer quelque bâillement en ma présence.
Je décidais de me confier à Henri IV, mon chien, baptisé ainsi, car, étant d’aimable compagnie, il agitait souvent sa queue ébouriffée de longs poils blancs. Nous passions agréables moments à l’ombre des arbres de la propriété, les yeux langoureux de mon fidèle tétrapode canin, posés sur moi, oreilles dressées, à l’écoute parfaite de mes soliloques, museau reposant, confiant, sur mes genoux.
Tout était ainsi, les jours passaient riches en dialogues, Henri IV se pourléchant les babines, les arbres nous offraient des parfums fleuris, nos narines en frémissaient, nous goûtions des plaisirs simples, images parfaites des bonheurs journaliers.
Arriva une lettre, que, joyeusement, je décachetais, imaginant le retour d’Adeline:
» Monsieur Proust, Adeline, après avoir séjourné chez nous, s’en est allée, nous confiant le soin de vous faire part de ses intentions. Sachez qu’elle n’envisage nullement de s’installer chez vous, d’autant que nous l’avons accueillie, lui trouvant air maussade, allant au delà de la mélancolie, et, de ce fait, nous nous sommes employés à la faire revenir à la vie, lui offrant maintes distractions, visites amicales et réjouissances mondaines. C’est au cours d’une de ces sorties, fort prisées d’Adeline, qu’elle se confia à nous, nous avouant, tel quel, que chez vous, elle avait perdu dix longues journées, à vous entendre, écouter disserter sur les moeurs, le temps qui passe et celui qu’il fait…que jamais, au grand jamais elle ne pourrait supporter ne serait-ce qu’une infime seconde à nouveau votre compagnie, qu’elle vous laissait seul avec votre recherche du temps perdu, qu’elle avait d’autres choses à faire que de tenir compagnie à un homme aussi ennuyeux. Votre serviteur Monsieur Swann. »
Les bras m’en tombèrent. J’avais perdu ma jeune fille en fleurs. Certes, je constatais, parfois, yeux rêveurs, air lointain, main discrètement prompte à étouffer un bâillement, mais imaginais plutôt un esprit vagabondant, imagination nourrie du sens de mes paroles, choisies, riches en émotions, réflexions pertinentes. Déception, cette petite avait donc disparu de ma sphère, je me sentais quelque peu trahi, et décidais qu’à l’avenir je choisirais mieux mon auditoire…tel mon fidèle Henri IV, dévoué corps et âme, que je retrouvais, les yeux clos, ronflant tout son soul, quand, filant bondissant, train arrière ramassé, traversa un buisson épineux, disparaissant à ma vue.
Vers Guermantes ou du côté de chez Swann?
Un lointain glouglou, envol précipité de plumes noires, se posa devant moi, un oiseau majestueux, qu’immobile, j’observais. Allais-je tenter d’en faire mon nouveau témoin auditif ? J’assistais alors à un spectacle magnifiquement magique, une roue emplumée orna le volatile, et je reconnus ces plumes dont Adeline aimait orner ses chapeaux, à moins que ce ne fut des plumes d’autruche, penchant plutôt pour cela, n’imaginant pas l’adorable jeune fille arracher la belle garniture de cet oiseau.
Donc Adeline cherchait à regagner ces dix jours prétendument perdus chez moi, et Henri IV, n’étant pas revenu, Madeleine trop prise par son travail, je parlais à mon nouveau compagnon, le Grand Tétras.
Ainsi, je partageais avec lui mes nouvelles réflexions intitulées » Prisonnière du temps perdu. », où il était question d’une jeune fille en pleurs, des plaisirs et des jours passés à ses côtés, sans que moi, Marcel Proust*, ne doutant, un seul instant, que mes trop longues phrases lassent la belle Adeline, au point qu’elle s’enfuit, retrouvant quelque galant, mieux assorti.. Même, il m’inspira ceci:
Ma muse ai perdu,
Vers elle, Henri quatre, s’en fut.
O’ Grand Tetras, sois le bienvenu,
Écouter la prisonnière des temps perdus.
Adeline m’écrivit, » Monsieur, voici la raison de ma fuite; mon amie, victime d’un abandon, je me devais de la consoler, afin qu’elle reprenne goût à la vie, l’emmenant donc vers des plaisirs et distractions, qui lui firent enfin oublier ses tristes émois, si bien qu’elle décréta un jour: « Un de perdu, dix de retrouvés. », ce qui montre bien à quel point elle est guérie. »
- Un de perdu, dix de retrouvés, et moi, alors ? m’offusquais-je.
- Vous avez dit, monsieur ?
- Rien, ma bonne Madeleine. Viens t’asseoir près de moi, et bavardons.
- Ce serait avec plaisir, monsieur, mais j’ai encore beaucoup de travail.
*Il s’agit d’un homonyme. ;D
PS: je voudrais m’excuser de n’avoir pas encore répondu, ni commenté les textes des participant.e.s; mon calendrier étant un peu bousculé, ces temps-ci (peut-être ces fameux dix jours :D). Je vais les lire très bientôt. Merci à vous d’avoir illustré ma proposition.